Les inquiétudes concernant l’ancrage des anticipations d’inflation à long terme à l’objectif du Conseil des gouverneurs de la BCE sont réapparues depuis le début de 2019. En utilisant les données de l’enquête de la BCE auprès des prévisionnistes professionnels, cette colonne fait valoir que les anticipations d’inflation à long terme se sont dissociées de celles de la BCE. objectif d’inflation. Ils ne sont pas revenus aux niveaux qui prévalaient avant la période de désinflation de 2013-2014, et leur répartition est toujours biaisée vers des niveaux d’inflation plus bas. De plus, les anticipations à long terme sont devenues sensibles aux anticipations à court terme et aux surprises inflationnistes négatives.
L’ancrage des anticipations d’inflation est une condition nécessaire pour que les banques centrales maintiennent la stabilité des prix, car elle empêche les chocs temporaires d’inflation d’alimenter les mécanismes de formation des salaires et des prix (Bernanke 2007, Draghi 2014). Depuis le début de 2019, les craintes concernant le retrait des anticipations d’inflation à long terme de l’objectif d’inflation du Conseil des gouverneurs de la BCE ont refait surface, les indicateurs fondés sur le marché ayant atteint de nouveaux plus bas historiques. Les anticipations d’inflation à cinq ans sur cinq ans sur la base des swaps indexés sur l’inflation (ILS) ont atteint 1,10% après la réunion de politique générale du Conseil des gouverneurs de juin 2019, soit 15 points de base en dessous du minimum précédent atteint en juin 2016 (figure 1, panneau UNE). L’anticipation à cinq ans de l’enquête d’octobre 2019 de la BCE auprès des prévisionnistes professionnels se situait entre 1,6 et 1,7% (graphique 1, partie B), selon la mesure statistique. Les prévisionnistes ont révisé à la baisse leurs attentes à long terme au cours des quatre cycles entre octobre 2018 et octobre 2019.
Remarque: Le panneau A montre les anticipations d’inflation fondées sur le marché calculées en tant que moyennes des rendements de l’ILS au cours de la période au cours de laquelle les prévisionnistes ont répondu à l’enquête auprès des prévisionnistes professionnels. Le panneau B montre les attentes d’inflation à long terme (cinq ans à l’avance) de l’Enquête auprès des prévisionnistes professionnels.
Les anticipations d’inflation à long terme sont-elles ancrées dans l’objectif d’inflation de la BCE? Dans un article récent (Corsello et al.2019), nous évaluons le degré d’ancrage des anticipations d’inflation à long terme dans la zone euro en utilisant les réponses à l’enquête de la BCE auprès des prévisionnistes professionnels au moyen de trois méthodes différentes: (i) une rupture – analyse ponctuelle du niveau des attentes à long terme; (ii) leur sensibilité aux surprises macroéconomiques; et (iii) leur sensibilité aux variations des anticipations d’inflation à court terme. Les anticipations d’inflation à long terme sont ancrées si elles sont conformes à l’objectif d’inflation de la banque centrale et ne répondent ni aux surprises macroéconomiques ni à l’évolution des anticipations d’inflation à court terme. Dans ces cas, les investisseurs sont convaincus que la banque centrale peut et va réagir aux chocs afin de garantir que l’inflation revienne à la cible à l’horizon pertinent pour la politique.
Test du niveau d’ancrage
Nous appliquons la procédure séquentielle développée dans Bai et Perron (2003) pour détecter d’éventuels changements structurels dans différentes mesures des attentes à long terme dans un cadre univarié (Dovern et Kenny 2017).
Source: calculs des auteurs sur la base de l’enquête de la BCE auprès des prévisionnistes professionnels.
En utilisant les attentes moyennes à long terme, nous avons trouvé deux ruptures. Le premier s’est produit au T2 2007 (figure 2, partie A), de 1,90% à 1,96%; le second s’est produit au troisième trimestre 2013, lorsque les anticipations à long terme sont descendues à 1,84%. Ce dernier changement n’a pas été inversé. L’approche appliquée à la moyenne de la distribution de probabilité agrégée donne une rupture unique au quatrième trimestre 2013, lorsque le niveau a baissé de 17 points de base, passant de 1,9% à 1,73%. Aucune rupture n’est détectée à l’aide de la prévision médiane. Les résultats ci-dessus montrent que le degré d’ancrage mesuré par le niveau des anticipations d’inflation à long terme s’est affaibli avec le début de la désinflation en 2013. Même si les nouveaux niveaux autour desquels les anticipations ont fluctué depuis peuvent être cohérents avec l’inflation du Conseil des gouverneurs L’objectif, l’absence de reprise aux niveaux qui prévalaient avant la désinflation, malgré l’orientation très accommodante de la politique monétaire de ces dernières années, suggère que l’ancrage des anticipations à long terme s’est affaibli.
Sensibilité aux surprises inflationnistes
Pour tester des changements importants dans la sensibilité des anticipations à long terme aux surprises inflationnistes, 1 nous appliquons la méthodologie de Bai et Perron (2003) dans une régression où les premières différences d’anticipations d’inflation à long terme dépendent des surprises inflationnistes. L’analyse constate une rupture de régime significative au second semestre 2013 dans les cas d’anticipations moyennes et médianes. Le coefficient après la rupture est plus important dans le cas des attentes médianes (0,256 contre 0,142 pour les moyennes). Les coefficients avant la rupture ne sont pas statistiquement différents de zéro. En utilisant la moyenne de la distribution agrégée, aucune rupture de régime significative n’est détectée. Nous fournissons également des preuves supplémentaires d’une réponse asymétrique aux surprises positives et négatives. Il s’avère que la sensibilité des anticipations à long terme aux surprises négatives a fortement augmenté au troisième trimestre 2013, tandis que la sensibilité aux surprises positives n’est pas statistiquement significative sur l’ensemble de l’échantillon.
Les surprises persistantes négatives peuvent être considérées comme responsables du désancrage des anticipations à long terme, ce qui, surtout, ne semble pas affecté par les surprises positives. Une interprétation possible de ce résultat est que les prévisionnistes ont peut-être perçu le 2% dans la définition de la stabilité des prix par le Conseil des gouverneurs comme un plafond, malgré les récentes clarifications du président Draghi sur la symétrie de l’objectif d’inflation (Draghi 2019).
Perspectives de prévisionnistes individuels
L’enquête auprès des prévisionnistes professionnels nous permet d’enrichir l’analyse selon deux dimensions en exploitant la dimension transversale de l’enquête. Nous explorons l’hétérogénéité des attentes individuelles selon deux critères: (i) la participation globale des répondants depuis le début de l’enquête; et (ii) l’exactitude des prévisions d’inflation à court terme (Nechio 2015). Nous répétons les analyses précédentes pour chacun des groupes identifiés.
Alors qu’une baisse du niveau moyen des anticipations d’inflation s’est produite quel que soit le degré de participation à l’enquête au fil du temps, une rupture de régime dans la sensibilité à la surprise négative n’est détectée que pour le groupe le plus actif, qui englobe les prévisionnistes ayant répondu à plus de 60 tours depuis 2001. Ce résultat soulève de sérieuses inquiétudes quant à l’ancrage des anticipations d’inflation à long terme. Les prévisionnistes les plus actifs sont susceptibles d’avoir un intérêt important dans la politique monétaire de la BCE, investissant du temps et des ressources pour comprendre la justification des décisions politiques et évaluer leur adéquation et leur efficacité. Dans la mesure où le traitement de toutes les informations pertinentes est coûteux, plus un répondant contribue à l’enquête auprès des prévisionnistes professionnels, plus son attente d’inflation à long terme est précieuse pour évaluer le degré d’ancrage à l’objectif d’inflation du conseil des gouverneurs de la BCE. Dans une spécification différente, les résultats obtenus lors de la division de l’échantillon en deux parties en fonction du degré de précision des prévisions restent comme dans le cas général. Les deux groupes (prévisionnistes plus ou moins précis) se caractérisent par un changement de niveau et une augmentation de la sensibilité aux surprises négatives à partir de 2013.
En utilisant les mêmes regroupements de prévisionnistes, nous avons testé la robustesse de nos résultats en étudiant la sensibilité des anticipations d’inflation à long terme aux anticipations à court terme (comme dans Łyziaka et Paloviita 2017). Dans ce cadre, il s’avère également que ce type de sensibilité, généralement non significatif dans la première partie de l’échantillon, augmente considérablement après 2014, notamment pour le groupe le plus actif.
Les résultats obtenus en regroupant les participants à l’Enquête auprès des prévisionnistes professionnels sont les suivants. Premièrement, les deux critères utilisés pour classer les prévisionnistes individuels conduisent à des groupes sensiblement différents. Le critère d’exactitude des prévisions n’entraîne pas d’hétérogénéité dans le comportement de l’inflation anticipée globale à long terme entre les deux groupes. Au contraire, le critère de participation identifie des groupes de prévisionnistes dont les attentes à long terme montrent un degré d’ancrage différent. Une bonne performance prévisionnelle n’est pas une condition nécessaire pour pouvoir évaluer l’ancrage des anticipations d’inflation à long terme. En effet, cette appréciation nécessite une compréhension approfondie de la politique monétaire de la BCE, des motivations des mesures prises et de leurs implications pour la stabilité des prix.
Conclusions et implications politiques
Nos analyses économétriques basées sur l’enquête de la BCE auprès des prévisionnistes professionnels montrent que les anticipations à long terme se détachent de l’inflation du Conseil des gouverneurs après le début de la désinflation début 2013. Les anticipations d’inflation à long terme sont devenues sensibles aux surprises négatives de l’inflation. La nécessité de ré-ancrer les anticipations d’inflation à long terme à l’objectif du Conseil des gouverneurs devrait être une priorité de la politique monétaire. Le ré-ancrage des attentes est essentiel pour préserver la crédibilité de la BCE, condition nécessaire pour assurer l’efficacité de sa politique monétaire. L’orientation actuelle de la politique monétaire expansionniste contribue à relever les anticipations d’inflation à long terme à des niveaux proches de l’objectif du Conseil des gouverneurs.